Comme un gosse qui entend craquer le monde
Dedans, il y a les miradors plantés dans les bacs à sables.
Dedans, il y a les fleurs d'acier qui éblouissent le soleil. Dedans,
il y a l'espoir. Dehors, il est mort depuis longtemps.
Par les fenêtre couleur ambre, Olympia observe mes jeux de guerre.
Elle tapote parfois la vitre du bout de l'ongle pour me rappeler à son
bon souvenir.
J'ai vingt-deux ans et autant de soldats de plomb. Si je fais la guerre,
les bleus contre les jaunes, c'est pour oublier celle qui s'est
déroulée dehors. Ma guerre ne se terminera jamais, du moins
je l'espère. Les combats correspondent, c'est certain, à un ballet
de mouvements sans conséquences, à la cartographie d'un espace
limité que mon imagination doit sans cesse renouveler. Je ne revendique
rien, à l'exemption de la vérité des frontières.
Olympia ! Le nom n'a jamais plu à papa. Un nom de déesse,
un nom d'étrangère. Quand Olympia ferme ses paupières,
une pluie d'étincelles magiques cascade sur sa chevelure, si belle qu'on
aimerait s'y noyer. Maman m'a interdit de lui ouvrir. Mais maintenant qu'elle et
papa ne sont plus qu'une odeur tenace derrière une porte, je dois lutter
chaque jour contre l'envie de désobéir.
Ce soir, les bleus attaqueront le mirador du salon. S'il l'occupent, sans
doute prétendront-ils que la victoire n'est qu'une affaire d'heures !
Ils me connaissent mal. Demain, dès l'aube, quand l'acier des roses se
fera miroir, je lancerai une contre-offensive sur le camp du couloir et ainsi,
de zone floue en zone floue, le conflit pourra s'éterniser.
Olympia ne craint pas l'éternité. C'est effrayant. Elle n'a pas
changé depuis toutes ces années. Quelqu'un a écrit qu'on
finit toujours par sortir dès l'instant où l'on sait que
l'extérieur existe. Olympia en est apparemment persuadée.
N'est-ce pas ainsi qu'elle a gagné sa guerre ?.J'avais cinq ans. Il lui
a suffi de frapper au carreau pour faire sortir tous les hommes de la Terre.
Les vivants comme les morts. Tous debout à fondre dans les étincelles
de sa chevelure. Tous, sauf papa, maman et moi.
Depuis
le temps que nous jouons au chat et à la souris au travers de
fenêtres Oxford, nous nous connaissons bien, Olympia et moi. Je suis sa
némésis, elle est le pendant de mon âme, mon ennemie, ma
jouissance. Un jour, je lui avouerai tout. Mon amour, ma haine, mon
indifférence. Mais pour cela, il faudra au préalable que je
sacrifie mes vaillant soldats entre un mirador et une rose d'acier. Ce
jour-là, je sais que je tremblerai très fort. Aussi fort
qu'un gosse qui entend le monde craquer de l'autre côté du verre.
En attendant, je suis au chaud au fond de mon coeur et il fait bon se battre.
Il arrive à Olympia de sourire. Son sourire azur
doit avoir traversé la nuit et l'espace car on ne le trouve ni dans les
livres, ni sur les tableaux, ni sur les chair des photographies. J'aime voir sa
lueur étrange enflammer les canons de plastique, le visage dur de mes
fantassins. Si je lui ouvrais la porte, il deviendrait arc-en-ciel et je ne
sentirais plus rien. Du moins, c'est ainsi que je vois les choses.
Le tout est de tenir. De ne pas vouloir savoir à tout prix.
Oh, j'ai des certitudes, du moins celles que m'ont
inculquées mes parents. Pourtant, au plus fort des canicules, quand
dans la chambre close, l'odeur se fait plus violente, je me demande pourquoi,
sur son lit de mort, papa a tenu à me révéler que le vrai
nom d'Olympia était Défaite.
Texte de Richard Canal
Illustration Béa