- Aelhomin
- Dans la préface de ton roman l'Histrion, tu dis ne pas avoir lu de livre pendant quatre ans. Est-ce que c'est vrai ?
- Ayerdhal
- C'est absolument vrai, je n'ai pas ouvert l'ombre d'un bouquin. J'ai lu des bandes dessinées, mais est-ce qu'on peut considérer que les BD sont dans la même catégorie que les romans sans images...
- Ael
- Et cela a joué sur ta façon d'écrire, et d'appréhender ton histoire ?
- Ayerdhal
- Ça a joué sur l'écriture de mon premier roman, la Bohème et l'Ivraie, parce que je n'étais plus imbibé de ma culture S.F. tel que j'avais pu l'être quatre ans auparavant. Ce qui en est sorti est bien plus personnel que ce ne l'aurait été si j'avais continué à être influencé par d'autres auteurs.
- Ael
- Avec l'Histrion, Sexomorphoses et les autres tomes qui suivront, tu as décidé d'écrire un hommage à Frank Herbert. D'où t'es venue l'idée ?
- Ayerdhal
- C'est essentiellement que ce type a nourri toute une partie de mes rêves d'adolescent, et il est mort un jour, et ça m'a fait mal de savoir que je ne lirais plus jamais du Herbert. Alors j'ai voulu lui faire un hommage, qui soit quasiment une copie conforme de ce qu'il a fait.
- Ael
- Le fait de respecter aussi bien la structure des livres, avec des chapeaux en tête de chapitre, que la structure du monde, avec une société organisée en caste : est-ce que ce n'est pas un cadre un peu trop rigide ?
- Ayerdhal
- Non. On ne fait jamais que ce que l'on aime bien, ou que ce que l'on connaît très très bien, et c'est vrai que je connaissais très très bien tout ce que Herbert a écrit, et particulièrement le cycle de Dune. Ç'a été très facile de rester dans ce cadre précis. D'autant que, si tout ressemble à ce qu'a employé Herbert, idéologiquement et politiquement on en est très loin. J'ai vraiment essayé de démolir toute son idéologie que je considère fascisante.
- Ael
- Dans ton roman, le héros peut changer de sexe et d'apparence, d'où t'es venue l'idée du phénomène de sexomorphose ?
- Ayerdhal
- Je crois que ça fait partie des rêves de l'humanité depuis sa création, de pouvoir vivre dans le corps de l'autre sexe. C'est un fantasme, un mythe... Et au-delà j'ai été influencé par d'autres auteurs comme par exemple Ursula Le Guin dans La main gauche de la nuit. De plus, à partir du moment où on imagine qu'un corps va se modifier, que tout ce qui est hormonal change, pourquoi se limiter à ces choses énormes et ne pas introduire les choses toutes simples ? Changer la couleur des cheveux c'est facile, changer la couleur des yeux c'est dérisoire, vis-à-vis du reste. Pour moi, ça coulait de source.
- Ael
- Pourquoi avoir créé un personnage omniscient comme Génésis ?
- Ayerdhal
- Je suis intéressé par ces personnages qui sont des créations, c'est le cas de Génésis, qui sont à la limite des machines à l'origine, et qui sont devenues des créatures vivantes ayant la faculté de penser des milliards de fois plus vite que l'homme et de tout voir, de tout entendre, de tout savoir. Je suis fasciné par un personnage qui soit un dieu, mais qui, confronté à l'humanité, se comporte comme un être humain normal.
- Ael
- Pour toi, l'Histrion c'est quoi ?
- Ayerdhal
- La fonction d'Histrion c'est respecter ce qu'est l'humanité dans l'expression de son individualité, et c'est d'introduire ça dans des structures qui sont très rigides. Le système mis en place par Génésis, le Daym, et tous les autres systèmes sont figés, que ce soit les Andres, les Scientes, les Taj Ramanes... L'Histrion rappelle que l'humanité existe, qu'elle n'est pas constituée que de groupes sociaux mais d'individus. C'est nécessaire dans toute structure hiérarchique.
"L'Histrion" et "Sexomorphoses" d'Ayerdhal, J'ai lu science-fiction.
Interview 1996
Illustration de
Gilles Francescano, © J'ai lu.
Réalisation et Interview par
Aelhomin